LE JUGEMENT POLITIQUE DES AGENCES DE NOTATION

Publié le par Mory

Après la dégradation par Moodys de la note du Royaume Uni de AAA à AA1, voilà que les agences de notation refont la une de l’actualité. En réalité, elles n’ont jamais cessé véritablement de faire cette une.

Il n’y a pas lieu d’être surpris par une telle annonce. Voici ce que nous écrivions sur cette tribune en décembre 2011 lorsque la menace d’une dégradation de la note de l’état français se faisait sentir (dégradation intervenue peu après le 13/01/2012 par S&P)


« …l 'on est quand même obligé de se poser ces questions sur le manque de partialité et d'objectivité des agences.

Même si nous n’aimons pas trop ce type de raccourci, posons-nous la question de savoir s’il n’existe pas une théorie du complot contre l’Euro via certaines agences comme on l’entend ici ou là ?

Une sorte de complot anglo-saxon contre l’Europe. Nous ne le pensons pas vraiment, mais ce qui est certain, c’est que les États-Unis ne voient pas forcément d’un mauvais œil les turbulences que traverse la zone euro. Car pendant ce temps là, le dollar n’est pas concurrencé par l’Euro quant à son statut de monnaie de réserve internationale.

On sait, en effet, que les États-Unis doivent attitrer les investisseurs non résidents pour que ceux-ci continuent à acheter des Treasuries et financent ainsi les déficits budgétaire et commercial US. Il est donc indispensable que le dollar reste la monnaie de réserve internationale et surtout que l’Euro ne devienne pas une alternative crédible au dollar. On peut penser que tant que des doutes persisteront sur la crédibilité de l’euro, les États-Unis ne s’en plaindront pas. Donc peut-être pas de complot US, mais il ne faut pas compter sur les US pour tempérer les critiques sur la construction monétaire européenne et l’Euro.

S’il s’agit de regarder les fondamentaux macroéconomiques (dette, croissance, déficits), on a du mal à comprendre pourquoi les états de la zone euro sont sanctionnés alors même que la signature d’un souverain comme le Royaume-Uni n’est pas du tout inquiétée par les agences. En effet, la situation présente et anticipée des finances publiques est pire au Royaume-Uni que dans la zone euro ; de même les perspectives de croissance sont aussi désastreuses au Royaume-Uni qu’en zone euro.

Les agences vous diront que le Royaume-Uni a zéro risque de défaut malgré l’énormité de sa dette, car les banques UK monétisent la dette du Royaume…. »

 

Au-delà de cette nouvelle actualité récente, le sujet de la crédibilité et de l’utilité pour les investisseurs des agences de notation reste malheureusement d’actualité

Force est de constater en tout cas que les insuffisances relevées depuis le début de la crise financière en 2007 n’ont pas été atténuées


Premièrement , les agences restent procycliques et aggravent les problèmes de solvabilité des émetteurs qu’elles dégradent. On a souvent évoqué ce sujet des prophéties autoréalisatrices dans ces colonnes.


Deuxièmement, les agences évaluent un émetteur souverain voire bancaire en intégrant un certain nombre de paramètres politiques qui dénaturent totalement  l’appréciation un tant soit peu objective de la qualité de crédit.

Parmi ces paramètres dits « politiques » , il y a l’aléa moral qui a conduit et pourrait encore conduire  nombre d’investisseurs dans le mur. Quelle erreur que de croire que les banques centrales seront « éternellement » acheteuses en  dernier ressort (de dettes publiques ) et prêteuses en dernier  ressort (de liquidité illimitée aux banques  avec apport de collatéraux dégradés). Les banques centrales en auront marre et sachez par exemple qu’une nouvelle « race » d’obligations émises par des états souverain avec clauses d’action collectives va voir le jour et facilitera les restructurations de dettes publiques (on aura l’occasion d’y revenir).

Mais il y a un paramètre politique encore plus pervers. Il s’agit de l’évolution de la réglementation bancaire qui « protège » les dettes d’État en général et donc tout particulièrement la dette française (car objectivement la solvabilité de l’état français se dégrade chaque jour au regard du déficit de compétitivité de l’économie nationale). Ce que l’on appelle la répression financière conduit les banques à surpondérer encore (en dépit d’un assouplissement relatif de certaines règles Bale 3 élargissant le choix de titres éligibles aux réserves de liquidité) dans leurs portefeuilles financiers les dettes souveraines de leurs pays,souvent au mépris des règles élémentaires de diversification des risques.

Si vous interrogez un noteur de dette souveraine  sur la dette publique française , il vous répondra que les perspectives sont stables pour deux raisons 

1/ à côté des 1800 Mds € de dette publique française , il y a autour de 1800 Mds € d’épargne financière privée (assurance vie, livrets , monétaire au sens large..). Pas très rassurant parce que cela revient à dire que l’état français est solvable parce qu’il peut potentiellement « confisquer » ou « réquisitionner » par des voies plus ou moins policées l’épargne privée 

2/ L’administration française est suffisamment efficace pour lever l’impôt (oui ça on le savait quel que soit notre statut). Ah oui certes l’impôt rentre facilement dans les caisses de l’état mais en tuant chaque jour un peu plus les velléités de travail et de croissance. Alors juger de la solvabilité d’un état sur ses capacités à accroître la pression fiscale est intellectuellement peu pertinent sur le plan de l’analyse macroéconomique (souvenons-nous de la forme de la Courbe de Laffer, courbe en cloche reliant les rentrées fiscales au taux d’imposition et popularisée par l’adage « trop d’impôt tue l’impôt)

 

 Troisièmement, on se souvient de la complaisance des agences lorsqu’il s’agissait des émissions structurées complexes (on pense tous à certaines titrisations) . Ce conflit d’intérêt qui pouvait conduire à surévaluer la notation d’une émission pour que sa commercialisation (et donc le commissionnement des noteurs) soit facilitée a cependant été atténué aujourd’hui non pas parce que les agences se seraient disciplinées sur la question mais parce-que ce type d’émissions complexes a, pour l’essentiel, disparu.

 

 

MORY DORE 

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